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19 octobre 2014 7 19 /10 /octobre /2014 15:32

« La musique n’a pas
de compartiment »


Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com


Stefano Di Battista et Sylvain Luc viennent de signer un album commun. « Les Trois Coups » ont voulu savoir comment s’était produite cette rencontre inédite de deux musiciens connus et reconnus dans leur spécialité.

stefano-di-battista-300 jf-picautLes Trois Coups. — Comment, Stefano Di Battista et Sylvain Luc, en êtes-vous arrivés à faire un disque sous votre double signature ?

Stefano Di Battista. — Sylvain m’a appelé pour partager avec lui un nouveau projet. Giù la testa est le résultat d’une envie de jouer ensemble que nous avions depuis longtemps.

Sylvain Luc. — Stefano n’avait pas fait d’album avec un guitariste, et je n’en avais pas fait avec un saxophoniste, c’était une occasion rêvée.

Les Trois Coups. — Vous êtes épaulés par une rythmique bien présente et efficace, comment en avez-vous choisi les membres ?

Sylvain Luc. — Stefano a proposé un bassiste, Daniele Sorrentino, avec qui il joue régulièrement. Et j’ai proposé un batteur-violoncelliste, Titi (Pierre-François) Dufour, que des amis m’avaient recommandé. C’était un défi, car il faut parfois du temps pour qu’une rythmique qui ne se connaît pas parvienne à jouer ensemble. Et ça a fonctionné !

Les Trois Coups. — Très bien, même. Tous les deux, dans cet album, vous exploitez très largement la palette de chacun de vos instruments. Comment avez-vous géré la répartition des rôles entre vous et le mariage des couleurs musicales ?

Stefano Di Battista. — Ça a été assez facile, vu que la musique elle-même nous amène dans des lieux différents, qui nous ont donné, naturellement, la direction des notes.

Sylvain Luc. — Oui, et en jouant, on s’est rendu compte que les unissons fonctionnaient à merveille.

Les Trois Coups. — Stefano, en 2013 à Jazz sous les pommiers et cette année encore lors de Jazz à Vienne, je vous ai entendus exprimer votre souhait de rendre justice aux compositeurs italiens, de les faire mieux connaître. Est-ce un des buts de votre nouvel album, Giù la testa, qui vient de paraître chez Just Looking Productions / Harmonia mundi ? Et si oui, n’y a-t-il pas un paradoxe à nommer ce disque « Baisse la tête », puisque c’est la traduction du premier titre de ce qui deviendra Il était une fois la révolution ?

Stefano Di Battista. — J’aime jouer la musique des compositeurs italiens. Pas forcément pour leur rendre justice ou pour les faire connaître, mais simplement par plaisir. Dans le cas de cet album, nous avons trouvé avec Sylvain que nous avions un « patrimoine » à proposer. Si le public peut imaginer autre chose que le film en écoutant la musique, alors ça nous fait plaisir.

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Sylvain Luc | © Jean-François Picaut

Les Trois Coups. — Vous êtes coleaders d’un opus qui paraît très éclectique : deux de vos compositions, Luc, une de vous, Stefano, deux reprises d’Ennio Morricone et de Michel Legrand, une de Nino Rota qui forment un bloc de musiques de film, une de Ray Charles et une de William Walton. Y a-t-il néanmoins une unité dans votre dernière production à tous les deux ?

Stefano Di Battista. — L’unité réside dans le fait que nous avons essayé de suivre un chemin sonore que nous avons aimé, et qui nous a accompagnés jusqu’à aujourd’hui. Nous avons essayé d’en faire un parcours sincère, entre ce « patrimoine » et nos compositions, car nous pensons que la musique n’a pas de compartiment.

Les Trois Coups. — Stefano, vous dédiez une très belle ballade, Arrivederci, à votre mère et vous lui rendez un hommage émouvant et vibrant dans le livret. Quel a été son rôle dans votre vie de musicien ?

Stefano Di Battista. — Tutti !

Les Trois Coups. — Sylvain, la plupart des auditeurs sont frappés par l’originalité dans l’interprétation du célèbre I Got a Woman de Ray Charles, votre introduction n’y pas étrangère. Comment vous en est venue l’idée ?

Sylvain Luc. — J’avais envie de le jouer avec un son un peu saturé. Je suis dans une période de recherches de sons, et je souhaitais être en accord avec ces expérimentations sonores. Cette intro a été improvisée, et l’idée est venue assez naturellement.

Les Trois Coups. — Merci à vous deux de vous être prêtés à cet entretien. Un petit mot de conclusion peut-être ?

Stefano Di Battista et Sylvain Luc. — Merci à vous pour cette interview. 

Propos recueillis par

Jean-François Picaut


Giù la testa, de Stefano Di Battista et Sylvain Luc

Un album Just Looking Productions / Harmonia mundi (2014)

Avec Stefano Di Battista (saxophone), Sylvain Luc (guitare), Daniele Sorrentino (basse et contrebasse) et Titi (Pierre-François) Dufour (batterie et violoncelle)

Stefano Di Battista et Sylvain Luc seront en concert :

– le 23 octobre 2014 au Café de la danse • 5, passage Louis-Philippe • Paris XIe, pour fêter la sortie de leur album

– le 25 novembre 2014 à Monaco, pour le Monte-Carlo jazz Festival

Photos : © Jean-François Picaut

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 13:21

Un festival pour toutes
les couleurs du jazz


Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com


Comme chaque année, Orléans’ Jazz ouvre la saison des festivals d’été. La mairie d’Orléans organise du mercredi 18 au samedi 28 juin 2014, la 24e édition de son festival. « Les Trois Coups » ont rencontré Stéphane Kochoyan, membre de l’académie du Jazz, directeur artistique du festival pour un tour d’horizon des festivités.

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Stéphane Kochoyan | © Jean-François Picaut

Les Trois Coups. — Cette année encore, Stéphane, Orléans’ Jazz sera une belle fête ?

Stéphane Kochoyan. — Au tout début de l’été, Orléans’ Jazz donne un peu le ton de la nouvelle saison de festivals par son ambiance, son ouverture, son esprit fédérateur. Cette année encore, Orléans vivra au rythme du jazz pendant onze jours. La ville, en effet, accueillera près de 350 artistes, une cinquantaine de concerts ainsi que des projections et expositions autour du jazz…

Les Trois Coups. — C’est vraiment, je sais que c’est une idée qui vous tient à cœur, le festival d’une ville et de tous les jazz ?

Stéphane Kochoyan. — Cette année plus que jamais, ce sont bien tous les jazz qui entrent dans la ville avec des lieux inscrits dans le patrimoine d’Orléans et aménagés de façon éphémère pour recevoir Orléans’ Jazz. Ainsi, le festival va à la rencontre des Orléanaises et Orléanais, sur la place de Loire. Il fait son retour tant attendu dans le merveilleux écrin du jardin de l’Évêché, berceau de la nouvelle génération. Et on le retrouvera aussi sur la scène internationale du Campo santo habituée à recevoir depuis plus de deux décennies les géants du jazz d’aujourd’hui.

Les Trois Coups. — J’ai également entendu parler d’une innovation dans la programmation des lieux.

Stéphane Kochoyan. — On ne peut rien vous cacher. Le comité de pilotage du festival a effectivement innové en confiant à l’association Le Nuage en pantalon une nouvelle mission. Elle a concocté un superbe parcours de lieux, dont certains sont insolites, pour une programmation souvent acoustique d’artistes inspirés par de petites formes intimistes, solo, duo ou trio… Ainsi, pour la première fois, la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier et Les Turbulences-F.R.A.C Centre accueilleront Orléans’ Jazz. On y découvrira Élise Dabrowsky (mezzo-soprano), Lila Tamazit (voix) avec Sébastien Boisseau (contrebasse), la bassiste Fanny Lasfargues, etc.

Les Trois Coups. — Vous avez parlé d’un festival fédérateur. Vous pouvez préciser un peu ?

Stéphane Kochoyan. — Je parle de festival fédérateur, car à Orléans, nous avons pour habitude d’accueillir toutes les couleurs du jazz dans un vrai kaléidoscope international. Ce sera encore le cas, cette année, avec des talents tels que Andreas Varady (Irlande), Alfredo Rodriguez (Cuba), découverts par Quincy Jones. On trouvera à côté d’eux le phénomène franco-libanais Ibrahim Maalouf, la Coréenne Youn Sun-nah, le grand contrebassiste et chanteur israélien Avishaï Cohen. Bien sûr, la nouvelle génération de musiciens inspirés par les musiques ethniques de leur pays tient une part prépondérante de la programmation d’Orléans’ Jazz 2014. Le festival se terminera par une soirée purement reggae, un style considéré par certains comme le blues des Caraïbes, avec deux icônes de cette musique, Tiken Jah Fakoly (Grand Prix de la S.A.C.E.M. 2012) et Winston McAnnuff. Et puis, il n’y a pas de grand festival sans les jazzmen américains. Nous aurons le Pat Metheny Unity Group et Gregory Porter, récompensé par un award du Meilleur Disque de jazz vocal de l’année. Enfin, le jazz français sera bien représenté, notamment ces valeurs sûres du jazz de chez nous que sont Thomas de Pourquery, Pierre de Bethmann et Arnaud Méthivier.

Les Trois Coups. — Quelle(s) tranche(s) d’âge visez-vous ?

Stéphane Kochoyan. — Vous avez pu voir, à travers tout ce que j’ai dit, qu’Orléans’ Jazz s’adresse à toutes les générations de 7 à 77 ans. Le jeune public n’est pas oublié. Le spectacle jeune public, créé en coopération avec Jazz à Vienne, est confié cette année à l’harmoniciste Greg Zlap. Ce sera l’occasion d’initier les écoliers au blues et à l’harmonica.

Les Trois Coups. — Merci à vous, Stéphane Kochoyan, d’avoir répondu de si bonne grâce aux questions des Trois Coups.

Stéphane Kochoyan. — Merci aux Trois Coups, et à vous, de défendre le jazz comme vous le faites. Très bon festival à toutes et à tous ! 

Propos recueillis par

Jean-François Picaut


Festival Orléans’ Jazz du 18 au 28 juin 2014

http://www.orleans.fr/evenementiel/orleans-jazz/accueil.htm

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24 mars 2014 1 24 /03 /mars /2014 18:54

Cette semaine, le jazz est roi à Rennes


Par Benjamin Janlouis

Les Trois Coups.com


Après la première partie malouine, le festival Jazz à L’Étage se recentre sur l’agglomération rennaise. La fin de semaine s’annonce prometteuse.

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Ça rythm’ à quoi ? | © Joël Lacire

Cette année, le festival Jazz à L’Étage s’est partagé en deux périodes et deux pôles. La première partie malouine (fin février-début mars) a permis d’écouter Gasandji et Omer Klein. La seconde, qui a débuté vendredi 21 mars, s’est recentrée sur Rennes-Métropole, avec des escapades à Saint-Malo et Guer (56).

Le week-end qui vient de se terminer a été consacré à une opération baptisée « Transversales ». C’est dans ce cadre, qu’avec le partenariat des Trois Coups, les médiathèques de Guer, Betton, Thorigné-Fouillard et Bruz ont accueilli Malo Mazurié (trompette), accompagné par Joran Cariou (Fender Rhodes). Dans les quatre médiathèques, un public nombreux et attentif a pu faire mieux connaissance avec le talent du jeune et brillant trompettiste, qui fut l’hôte de l’opération Fresh Sound, l’an passé. Malo Mazurié a présenté son parcours au fil d’une petite causerie animée par Jean‑François Picaut [correspondant des Trois Coups, N.D.L.R.]. Mais, surtout, les spectateurs ont pu apprécier plusieurs titres qu’il avait composés à l’occasion de sa résidence à Jazz à L’Étage en 2013.

Parallèlement, le grand batteur français Franck Agulhon présentait dans les médiathèques de Saint-Malo, Pacé et Vern-sur-Seiche un programme en soliste. Solisticks, c’est son nom, se divise en trois parties : une présentation de la batterie et de son histoire, un solo de batterie d’environ trente minutes et un temps d’échange avec le public. Tout le talent de Franck Agulhon se révèle dans cette rencontre. Son savoir-faire pédagogique dans sa présentation et dans la discussion comme son habileté de batteur, et d’artiste tout simplement, dans son solo. Il faut voir le public, suspendu à ses baguettes, captivé par les divers climats qu’il installe successivement.

Un concert de légende s’annonce

Jusqu’à la fin de la semaine, le jazz dans toutes ses acceptions sera roi à Rennes. Un simple coup d’œil sur la programmation suffira pour s’en convaincre. On retiendra le grand pianiste Dan Tepfer et le quatuor Monk avec Vincent Jourde (le 26 mars), Magic Malik (le 27 mars), Greg Zlap (le 28 mars à Saint-Malo), et l’évènement du festival, le concert incroyable qui réunira (le 29 mars, au Liberté à Rennes) les deux géants que sont Jack DeJohnette (batterie) et Joe Lovano (saxophone) ainsi que la révélation de la contrebasse, la jeune et superdouée Esperanza Spalding avec son pianiste inspiré, Leo Genovese. Un concert de rêve, à ne pas manquer !

Dans la journée, des ateliers gratuits permettront de s’initier à la « balance des instruments en sonorisation jazz » et de réaliser « la pochette de son disque ».

Pour sa 5e édition, Jazz à L’Étage, sous la direction artistique de Yann Martin, poursuit dans l’état d’esprit défini dans nos colonnes par sa présidente, Caroline Rodor, lors de la 2e édition : « Montrer que le jazz est une musique actuelle, ouverte aux esthétiques de son époque, un mouvement riche toujours en évolution, en un mot une musique vivante capable de fédérer des publics avertis, amateurs ou des publics novices. ». 

Benjamin Janlouis


Jazz à L’Étage, 5e édition, 2014

Du 28 février au 2 mars puis du 21 au 29 mars 2014

À Rennes, dans diverses villes de Rennes-Métropole, à Saint-Malo

Festival Jazz à L’Étage

http://jazzaletage.com/index.php/jazz-a-l-etage/programmation-2014

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11 mars 2014 2 11 /03 /mars /2014 16:32

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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 18:12

« Verdi n’y est pour rien ! »


Par Jean-François Picaut

Les Trois Coups.com


Vous ne connaissez pas encore Aïda Diène ? Alors, ce qui va suivre devrait vous intéresser. La chanteuse mûrit actuellement un projet qui pourrait la mettre bientôt sous les projecteurs.

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Aïda Diène | © Jean-François Picaut

Les Trois Coups. — Qui êtes-vous exactement, Aïda Diène ?

Aïda Diène. — Je suis née à Dakar (Sénégal). Ma famille appartient à une grande lignée de pêcheurs lébous, des Wolofs de la presqu’île du Cap-Vert. Fille unique, je suis arrivée à Paris à l’âge de dix-huit mois. Mon père appartenait au personnel diplomatique de l’ambassade du Sénégal et ma mère était ce qu’on appelle maintenant une assistante maternelle. J’ai grandi dans le quartier de Port-Royal.

Les Trois Coups. — Aïda, c’est votre véritable prénom ou c’est un prénom de scène ?

Aïda Diène. — (Elle part d’un grand éclat de rire). Oui, on me fait souvent observer que c’est un prénom prédestiné pour une chanteuse. Mais c’est mon véritable prénom et Verdi n’y est pour rien ! C’est un prénom féminin très fréquent chez les Lébous.

Comment êtes-vous venue à la musique de jazz ?

Aïda Diène. — Par le gospel, à l’âge de quinze ans. C’est alors que j’ai commencé à fréquenter des chorales de gospel parisiennes, affiliées à la Fédération française de gospel dirigée par Max Zita. À peu près à la même époque, celle que j’appelle ma « seconde maman » (la mère d’un des enfants que gardait ma mère et qui vivait dans le même immeuble que nous) m’a fait découvrir Nina Simone à travers son album Ne me quitte pas.

Les Trois Coups. — D’entrée de jeu, la voix a donc été votre moyen d’expression ?

Aïda Diène. — On peut dire ça, même si j’ai beaucoup navigué dans d’autres eaux. J’ai touché au piano, au violoncelle. De dix-huit à vingt-trois ans, j’ai même étudié le saxophone alto dans une école. J’ai aussi préparé le diplôme d’études musicales (D.E.M.), option musique de jazz.

Les Trois Coups. — En tout cas, votre orientation vers le gospel et le jazz ne se s’est jamais démentie.

Aïda Diène. — C’est vrai, mais là aussi, j’ai beaucoup butiné ailleurs. Le premier groupe auquel j’ai appartenu, à dix-huit ans, s’appelait 417. J’ai participé à beaucoup de jams avec Smiley’s, un groupe dédié à la musique de Julien Lourau. Mais je me suis également frottée au hip-hop et j’ai beaucoup fréquenté les studios Luna rossa (près des Moulins de Paris) où j’ai pratiqué les comédies musicales, le funk, etc. Néanmoins, le jazz et le gospel sont les seules musiques où je ne m’ennuie jamais !

Les Trois Coups. — Et la voix a fini par s’imposer !

Aïda Diène. — Oui, c’est ça. Mon admiration, ma vénération pour Ella Fitzgerald, Nina Simone, Billie Holiday, René Marie (nous parlerons bientôt d’Abbey Lincoln) ont joué un rôle déterminant, de même que les stages que j’ai effectués auprès de Sara Lazarus (lauréate du Premier Prix au premier Concours international Thelonious-Monk en 1994, avec un jury qui comportait, excusez du peu, Jon Hendricks, Shirley Horn, Cleo Laine, Abbey Lincoln, Dianne Reeves et Jimmy Scott [N.D.L.R.]).

Les Trois Coups. — Bien, vous avez donc décidé de devenir chanteuse de jazz. Et quand avez-vous choisi Rennes comme port d’attache ?

Aïda Diène. — Il y a douze ans de cela maintenant. J’y étais venue avec des amis pour les Transmusicales, et j’y suis restée (rires) !

Les Trois Coups. — La ville est propice à l’exercice de votre art ?

Aïda Diène. — Oui, les gens ont une certaine ouverture d’esprit. On y rencontre des musiciens intéressants. Je suis une habituée des jam sessions du jeudi soir à la Ferme de la harpe. Parmi les bars musicaux, j’aime bien Le Henri Cording (clin d’œil à Henri Salvador)…

Les Trois Coups. — Et c’est ici que vous avez mené à bien votre premier projet personnel…

Aïda Diène. — Aïdahood est un projet qui est né de ma rencontre avec le pianiste, compositeur et arrangeur Guillaume Casini. J’y chante du jazz en français, dont deux poèmes de Léopold Sédar Senghor, Femme noire et Comme je passais… C’est alors que j’ai rencontré Abbey Lincoln, il y a déjà cinq ans.

Les Trois Coups. — Nous y voilà !

Aïda Diène. — Le premier titre qui m’a saisie c’est First Song, une chanson du contrebassiste Charlie Haden. La découverte a été progressive, l’album A Turtle’s Dream en est un jalon important. Peu à peu, j’ai rencontré, après la chanteuse qui aimait aussi le gospel, la militante politique comme femme et comme femme noire. J’ai été touchée par ses combats auprès de Myriam Makeba et son engagement aux États-Unis dans la lutte pour les droits civiques, aux côtés notamment de Max Roach qui fut son mari. Sa réflexion en tant qu’Afro-Américaine sur la question noire, sa volonté de promouvoir une musique revendicative sont des choses qui me parlent.

Les Trois Coups. — C’est ainsi que s’est imposée l’idée de lui rendre un hommage ?

Aïda Diène. — Tribute to the Jungle Queen est effectivement né de cette rencontre capitale.

Les Trois Coups. — Pourquoi « Jungle Queen » ?

Aïda Diène. — C’est Abbey Lincoln qui répond dans une interview au sujet d’une chanson qu’elle a écrite, Tarzan & Jane : « I’m not Jane, I’m a Jungle Queen ! » et elle éclate de rire. Et là, j’ai su qui était Abbey Lincoln…

Les Trois Coups. — Le premier projet autour d’Abbey Lincoln se faisait en duo avec le pianiste Édouard Leys ?

Aïda Diène. — Oui, mais il nous est très vite apparu comme insuffisant à tous les deux. L’équipe actuelle qui a intégré Guillaume Robert à la contrebasse et Mourad Benhammou à la batterie a vu le jour il y a deux ans. Avec Henri Jégou, professeur au conservatoire à rayonnement régional de Rennes, à la direction artistique, nous sommes désormais au complet. Et je me sens prête.

Les Trois Coups. — L’avenir, en matière de concerts, c’est quoi ?

Aïda Diène. — L’avenir immédiat en matière de concert, c’est le festival Jazz in Fougères (Ille-et-Vilaine), le 11 avril prochain, au Théâtre Victor-Hugo. Il y aura des invités surprises…

Les Trois Coups. — Vous avez également un projet d’album, et une souscription est même lancée ?

Aïda Diène. — Oui, une souscription est lancée, une souscription directe, pour contribuer au financement de cet album. En écrivant à tributeabbeylincoln@gmail.com, vous recevrez le mode d’emploi détaillé.

Les Trois Coups. — Dieuredieuf (« merci ») comme on dit en wolof. Merci, Aïda Diène, pour l’obligeance avec laquelle vous avez répondu à nos questions.

Aïda Diène. — Dieuredieuf, Jean-François, de m’avoir accueillie aussi chaleureusement et d’avoir partagé vos souvenirs du Sénégal. 

Propos recueillis par

Jean-François Picaut


Tribute to the Jungle Queen, par Aïda Diène

Direction artistique : Henri Jégou

Avec : Aïda Diène (chant), Édouard Leys (piano), Guillaume Robert (contrebasse), Mourad Benhammou (batterie)

En concert : le 11 avril 2014, à Jazz in Fougères

Théâtre Victor-Hugo • 145, rue du Gué-Maheu • 35300 Fougères

Réservations : 02 99 94 83 65

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 18:37

« Le théâtre jeune public
est un art majeur. »


Par Léna Martinelli

Les Trois Coups.com


Du 15 janvier au 30 mars 2014, la biennale de création théâtrale Odyssées en Yvelines met la jeunesse à l’honneur en produisant six spectacles dédiés au jeune et tout public (théâtre, marionnette, danse, musique), créés et diffusés dans tout le département, avant une tournée nationale. Ce festival porté par le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, associé à un réseau dense de partenaires, apporte le théâtre partout, même là où il ne va pas habituellement. Cet ambitieux projet d’aménagement culturel du territoire et d’action culturelle vise à rassembler les générations. Au programme : des textes d’auteurs, des compositions musicales et des écritures scéniques, tous des créations inédites. Ainsi, la pluridisciplinarité compose une mosaïque de formes, propres à éveiller la curiosité des jeunes spectateurs.

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« Sylvain Maurice » | © J.-M. Lobbé

Les Trois Coups. — La 9e édition d’Odyssées en Yvelines vient de commencer. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi c’est un évènement si important pour le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines ?

Sylvain Maurice. — Odyssées en Yvelines fonctionne comme un festival : six équipes répètent pour jouer sur la même période six créations originales en direction de l’enfance et de la jeunesse. Ces créations sont jouées plus de deux cents fois en Yvelines avant de partir en tournée nationale. Par sa dimension, Odyssées est constitutive de l’identité du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, à tel point que je n’aurai pas postulé à la direction de cet établissement s’il n’y avait pas eu Odyssées. Convaincu de l’intérêt de parler, jouer, inventer pour les enfants, je m’y consacre entièrement. Le théâtre pour l’enfance et la jeunesse est un espace d’invention et de créativité, à nul autre pareil. C’est un art majeur.

Les Trois Coups. — Le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines a-t-il une mission spécifique vers l’enfance et la jeunesse ?

Sylvain Maurice. — Oui. Nous sommes la seule manifestation « enfance et jeunesse » qui présente uniquement des créations : ces spectacles sont tous crées et répétés sur notre territoire, dans les Yvelines. De plus, Odyssées – grâce au soutien sans faille du conseil général des Yvelines – contribue à l’aménagement culturel du département à travers un travail de fond mené en collaboration avec les très nombreux partenaires du territoire. Ce lien très fort entre un établissement culturel de premier plan et une collectivité territoriale donne sens, cohérence et visibilité à notre action.

Les Trois Coups. — Pourquoi Odyssées a-t-elle eu un rôle pionnier ?

Sylvain Maurice. — À ses débuts, Odyssées a eu un rôle pionnier en proposant à des artistes qui ne faisaient pas de « jeune public » de créer pour la première fois pour les enfants. Aujourd’hui, je propose une nouvelle Odyssées qui implique davantage les artistes et les compagnies. Nous ne sommes plus producteur unique : nous inventons Odyssées ensemble avec les compagnies. Cette ouverture va permettre à la biennale de grandir, de se développer.

Les Trois Coups. — Vos partenariats vous permettent de faire circuler les œuvres et les publics entre les villes…

Sylvain Maurice. — Tout à fait ! Cette édition produit six créations originales dans le cadre de résidences de création territoriale réparties en Yvelines, et les diffuse dans tout le département pour plus de 200 représentations. Odyssées propose de vraies prises de risque auxquelles elle associe des partenaires pour les partager avec un large public.

Les Trois Coups. — Comment toucher ces publics ?

Sylvain Maurice. — Par un travail de sensibilisation, des rencontres avec les artistes, des documents pédagogiques, des actions culturelles, des résidences de création (notamment dans les établissements scolaires). Nous allons au-devant des spectateurs avec des petites formes qui peuvent s’adapter facilement à tous types de lieux. Les formes itinérantes permettent de jouer en proximité. On propose aussi des grandes formes dans des théâtres traditionnels. Cette distinction « petite » et « grande » forme n’est en aucun cas un jugement de valeur. Nous avons un devoir d’exigence pour que la magie opère jusque dans une salle de classe.

Les Trois Coups. — Y a-t-il un fil rouge dans la programmation ?

Sylvain Maurice. — Odyssées n’a pas d’axe thématique, mais propose à partir du théâtre une diversité d’approches (théâtre de texte, théâtre de marionnettes, théâtre dansé, théâtre musical, théâtre et vidéo) et une pluralité des écritures (un classique avec Herman Melville et des auteurs contemporains tels Fabrice Melquiot, Mike Kenny, Anna Nozière, Eddy Pallaro, Ronan Chéneau). Nous avons plutôt privilégié la diversité des esthétiques : par exemple, il y a deux spectacles de marionnettes et, pourtant, rien de commun entre celles, « hyperréalistes », de Bérangère Vantusso et celles de Simon Delattre. La programmation concilie également l’épique (Moby Dick), l’intime (Joséphine [les enfants punis]), le social (My Brazza, le Rêve d’Anna et Bouh !). On trouve aussi bien le registre ludique (Entre chou et loup, concert détonnant), axé sur le plaisir de jouer avec les mots et les sons, que le registre grave (Bouh !) avec des questions existentielles ou sur le « vivre-ensemble ». Pas de fil rouge, donc, mais une palette de couleurs. Nous proposons une « mosaïque sensible ». 

Propos recueillis par

Léna Martinelli


Odyssées en Yvelines, biennale de création théâtrale

Du 15 janvier au 30 mars 2014

Site : www.odyssées-yvelines.com

Blog :

http://www.odyssees-yvelines.com/blog/?p=120

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-C.D.N. • place Jacques‑Brel • 78500 Sartrouville

Site du théâtre : www.theatre-sartrouville.com

Renseignements : 01 30 86 77 79

Réservations : auprès de chaque lieu indiqué dans le programme

Joséphine (les enfants punis), théâtre, dès 6 ans, d’Anna Nozière

Création le 14 janvier 2014, à l’Auditorium de Viroflay

Le Rêve d’Anna, théâtre et marionnettes, dès 7 ans, d’Eddy Pallaro, mise en scène Bérangère Vantusso

Création le 15 janvier 2014, au Théâtre de Sartrouville

Moby Dick, théâtre et vidéo, dès 8 ans, d’après Herman Melville, adaptation Fabrice Melquiot, mise en scène Matthieu Cruciani

Création le 16 janvier 2014, à la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines

Bouh ! théâtre et marionnettes, dès 8 ans, de Mike Kenny, traduction Séverine Magois, mise en scène Simon Delattre

Création le 16 janvier 2014 ) à l’Accueil loisirs culture, à Chevreuse

Entre chou et loup (concert détonnant), théâtre musical, dès 6 ans, de Noémi Boutin et Sylvaine Hélary

Création le 16 janvier, à La Barbacane–Beynes

My Brazza, théâtre et danse, dès 14 ans, de Ronan Chéneau, mise en scène David Bobée

Création le 20 janvier 2014, au collège Saint-Exupéry de Vélizy‑Villacoublay, en partenariat avec l’Onde

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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 18:03

Le travailleur aliéné


Par Marie Barral

Les Trois Coups.com


Après Pascal Rambert en 2012 avec « Clôture de l’amour », le grand prix de Littérature dramatique, organisé sous l’égide du Centre national du théâtre (C.N.T.), a été décroché par Alexandra Badea pour « Pulvérisés ». Dans cette pièce incisive, des employés travaillent aux quatre coins du monde au service d’un même objet, une box internet. Quel que soit leur niveau dans la chaîne de fabrication (recherche et développement, usine, service après-vente), leur lieu de travail (Shanghai, Lyon, Bucarest ou Dakar) et leur position hiérarchique, tous voient leur vie privée aliénée par un système qui les dépasse.

Entretien avec la lauréate avant de découvrir, à partir du 4 février, sa pièce mise en scène par Aurélia Guillet et Jacques Nichet.

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Alexandra Badea | © Liova Jedlicki

Les Trois Coups. — Votre précédente pièce Burnout (L’Arche éditeur) traitait déjà de l’épuisement et de la perte de sens dans l’entreprise. Comment vous est venue l’idée d’écrire Pulvérisés, cette pièce sur les effets de la mondialisation sur les travailleurs ?

Alexandra Badea. — En 2011-2012, j’étais en résidence à Saint-Priest (69), ville d’implantation des usines Renault Trucks. Les ouvriers assemblaient alors des pièces de moteur produites dans différents pays du monde. En approfondissant mon travail de recherche, j’ai développé à partir de cette idée.

Les Trois Coups. — Les personnages de Pulvérisés travaillent dans quatre pays différents : Chine, France, Roumanie et Sénégal. Pourquoi ces quatre pays ?

Alexandra Badea. — Je connais la France, où j’habite, et la Roumanie, d’où je viens et où j’ai vécu vingt-trois ans. Le choix de la Chine était évident : nombre de nos produits sont étiquetés « made in China » et j’avais en tête les suicides dans les usines Foxconn, ces sous-traitants d’Apple en Chine. Au cours de mon travail préparatoire, j’ai visionné plusieurs documentaires dont China Blue [de Micha Peled (2005) sur les conditions de travail dans une usine textile des environs de Canton] ainsi qu’un reportage sur un call-center à Dakar. Ma fiction s’inspire de ces faits réels, entre autres des conditions des salariés de ces call-center sénégalais, qui déjeunent plus tôt que leurs compatriotes pour adopter les horaires français, regardent des programmes français, parlent avec un accent français, en bref sont tenus de passer pour des Français.

J’ai également pensé à situer l’action au Brésil et en Inde, mais je voulais approfondir chaque personnage. Il ne s’agissait pas pour moi de dénoncer les conditions de travail, mais d’explorer les rapports entre les vies intimes et professionnelles dans nos sociétés mondialisées.

Les Trois Coups. — Qu’est-ce qui, selon vous, rend l’articulation entre vie professionnelle et intime difficile aujourd’hui ?

Alexandra Badea. — J’ai fait passer des questionnaires à différentes catégories de personnes : à des lycéens, des seniors, etc. La dématérialisation semble être une donnée qui rend particulièrement difficile la vie professionnelle. Les collègues ne sont pas toujours situés à proximité et, de ce fait, il n’y a plus forcément d’espace où l’on parle justement autre chose que du boulot. De plus, même lorsque les collaborateurs sont situés sur un même site, ils ne communiquent plus forcément de vive voix : ils se téléphonent, s’envoient des mails. Les corps sont dématérialisés et la notion d’« espace » est devenue floue. Un médecin du travail m’a expliqué qu’il traitait beaucoup plus de problèmes psychologiques que d’« accidents du travail » à proprement parler.

Les Trois Coups. — Vos personnages travaillent autour d’un même produit : une box internet. Pourquoi le choix de cet objet ?

Alexandra Badea. — En choisissant un objet que chacun possède, je rappelle implicitement que nous sommes tous complices des situations dans lesquelles se trouvent ces quatre travailleurs. D’ailleurs, ces derniers sont également en partie responsables du système, par leurs mesquineries et leur compromission. Ce ne sont nullement des héros. Or, j’estime qu’il doit être possible de ne pas se laisser écraser et de ne pas laisser écraser les autres…

Les Trois Coups. — Votre écriture est très rythmée, saccadée : on pense aux bruits de l’usine des Temps modernes de Chaplin. Comment écrivez-vous ?

Alexandra Badea. — J’ai rédigé en un mois, après un an de travail préparatoire. J’enregistre ce que j’écris puis je m’écoute, afin que le texte ait du rythme.

Je voulais par l’écriture donner l’impression que mes personnages sont toujours en mouvement. En outre, comme ils n’ont pas toujours le temps et la disposition mentale pour s’exprimer à la première personne, ils adoptent souvent le « tu », ce « tu » utilisé lorsque l’on s’observe de l’intérieur, que l’on est divisé. Mes personnages hésitent beaucoup.

Les Trois Coups. — Quels liens avez-vous vous-même avec l’entreprise ?

Alexandra Badea. — Ayant eu pendant longtemps peur du monde de l’entreprise, j’ai fait le choix de l’éviter. En effet, j’ai du mal à comprendre d’où les gens tirent la force de se réveiller tous les jours pour subir l’appareil bureaucratique, les rapports de domination, ainsi que la pression du temps. Je n’arriverais pas à supporter tout cela. 

Propos recueillis par

Marie Barral


Pulvérisés, d’Alexandra Badea

L’Arche éditeur, 2012

86, rue Bonaparte • 75006 Paris

01 46 33 57 47

Courriel : commande@arche-editeur.com

Site : http://arche-editeur.com

Mise en scène : Aurélia Guillet, Jacques Nichet

Théâtre national de Strasbourg • 1, avenue de la Marseillaise • 67000 Strasbourg

Du 4 février au 21 février 2014 à 20 heures, le dimanche à 16 heures, relâche les lundis et dimanche 9 février

Tournée :

– Le 25 février 2014 : Le Préau, scène conventionnée, Vire (14)

– Le 28 février 2014 : Théâtre de Roanne (42)

– Du 19 mars au 5 avril 2014 : Théâtre de la Commune-C.D.N. d’Aubervilliers (93)

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21 décembre 2013 6 21 /12 /décembre /2013 14:30

« La chanson d’une femme qui connaîtrait ton sort » (1)


Par Lise Facchin

Les Trois Coups.com


Dans le hall d’un théâtre. Sous les yeux de la journaliste, la guichetière ordonne ses billets, compte la monnaie de sa caisse, s’affaire à préparer la soirée. Olivier Py, en habit de directeur, arrive par une porte marquée « Administration ».

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« Olivier Py » | © Carole Bellaïche pour le Festival d’Avignon

Olivier Py : Ah ! Bonjour.

La journaliste : Bonjour.

Olivier Py : Alors, de quoi parle-t-on ?

La guichetière, dans sa barbe : Mes souches jaunes… Mes souches jaunes… Ah !

La journaliste, timidement : Je me disais, vos personnages de femmes…

Olivier Py : Ah ! C’est qu’ils sont très allégoriques. Silence. J’ai le sentiment que les femmes sont avant tout des allégories, vous n’êtes pas d’accord ?

La journaliste : Je ne sais pas. Les allégories féminines sont souvent épaisses, elles tiennent plus de l’Amazone que de la femme.

Tous deux regardent la guichetière : profil droit, assez charpentée.

Olivier Py : C’est vrai qu’elles peuvent avoir de bons bras… La France des monuments aux morts est très impressionnante, par exemple.

La journaliste : C’est que la femme doit être en mesure de porter le poids des armes.

Olivier Py : Porter les armes, oui, mais aussi le peuple. Elle doit porter le peuple, qui est un peuple de soldats… En fait, mes personnages féminins sont surtout très amoureux. Ce sont des femmes terriblement éprises. Est-ce pour cela qu’on m’a souvent taxé de misogyne ?

La journaliste : De misogyne ?

Olivier Py : Oh là oui ! Vous n’avez pas idée, c’est le reproche le plus fréquent des nombreux que l’on me fait. Pendant les Enfants de Saturne, par exemple, c’était fou ! D’ailleurs, je ne pensais pas qu’il était possible de faire à ce point l’unanimité de la critique : le spectacle a été démoli par tout le monde et avec une dureté !

La journaliste : Pas tout le monde : nous avions publié un papier terriblement enchanté…

Olivier Py : Oui ? Il faudra que je le lise. En tous les cas, vous étiez seuls contre tous ! Ils ont été terribles. D’autant que ce n’est pas comme pour le Visage d’Orphée où la critique avait été atroce, mais où il s’était passé quelque chose de très beau avec le public. Là, tous les soirs, c’était absolument glacial. Le public était d’une froideur ! Et ces évanouissements à répétition !

La journaliste : Il faut dire que lorsque l’on sortait de la salle, on se sentait tout de même un peu secoué…

Olivier Py : Certes, mais je ne pense pas que cela méritait un tel déchaînement de haine à mon égard. Est-ce qu’ils n’ont pas supporté la scène de sexe entre un père et son fils ? Sûrement. Ils n’ont pas réussi à y voir de sens. Mon drame bourgeois n’est pas passé. Ils préfèrent quand je fais le con dans mes comédies. C’est dommage, le casting était merveilleux et Pierre-André Weitz nous avait fait des décors somptueux…

La journaliste : Oui, et ces gradins qui tournaient pour faire découvrir aux spectateurs un nouvel espace scénique, c’était magique !

Olivier Py : Pour en revenir à la misogynie, il y a tout de même une journaliste qui a déclaré que mon spectacle était misogyne parce qu’il n’y avait qu’un seul rôle de femme ! Bel argument… Dans En attendant Godot, il n’y en a pas du tout. Est-ce que cela viendrait à l’esprit de quelqu’un de traiter Beckett de misogyne ? Pour moi, c’est de l’homophobie inversée. Et parfois, ça va loin. Dans des rencontres avec les spectateurs, il arrive souvent qu’une jeune fille me demande : « Mais tout de même, ce n’est pas un peu sexiste ? ». Cela arrive souvent.

La journaliste : Brassens, qui a été qualifié de sexiste plus souvent qu’à son tour, avait répondu : « Ceux qui me traitent de misogyne n’ont pas écouté mes chansons ».

Olivier Py : Il y a de ça en effet.

La guichetière, toujours à son travail : Monsieur le directeur ? Pardon de vous interrompre, mais je crois que le compte-personne est définitivement hors d’usage.

Olivier Py : Aïe ! Nous nous en passerons donc ce soir. Merci, Capucine.

La guichetière : Et puis il y a aussi les cahiers de réservation : on en est à noter sur les couvertures. Quand recevons-nous les nouvelles fournitures ?

Olivier Py : Hélas, je ne sais pas, mais je vous promets de me renseigner.

La guichetière : Merci ! Chantonnant. « Dans la fleur d’oranger, pas de réponse, dans le corps de la femme, pas de réponse, dans l’or des tabernacles, pas de réponse, dans la parole de l’ami, pas de réponse, dans les livres d’enluminure, pas de réponse, ni le violoncelle, ni la chambre des amants, ni la caresse maternelle, pas de réponse, pas de réponse, pas de réponse… » (1) Lalala, hmhmhm…

La journaliste, reprenant : Et dans ce genre de situations, comment réagissez-vous ?

Olivier Py : Cela dépend. Si je suis de bonne humeur et détendu, je vais répondre : « Mais non, mademoiselle, ce n’est pas du tout ça. J’adore les femmes, et d’ailleurs j’espère bientôt écrire une pièce avec uniquement des rôles de femmes ». Et si ce jour-là je suis fatigué de ce genre de choses, ce sera plutôt : « Écoutez, je crois que c’est une question homophobe, alors on va passer à autre chose ». Inévitablement, la jeune fille viendra à la fin, en pleurs, pour me dire que ce n’était pas du tout son intention. Montrant bien à quel point elle ne se rend pas compte de ce dont elle est néanmoins le relais.

La journaliste : C’est comme ce discours très répandu sur la bisexualité qui veut que ce soit une transition vers un choix définitif ; une incertitude et non pas un goût en soi.

Olivier Py : Absolument. D’ailleurs, vous remarquerez que mon grand personnage, celui qui revient inlassablement dans mes pièces, est bisexuel. Même si je laisse toujours mes personnages libres de leur sexualité ; de la définir ou non. Là d’ailleurs, je crois que je viens enfin de réussir mon trio (deux hommes et une femme) où tout le monde couche avec tout le monde, et où d’un point de vue dramatique, ça fonctionne vraiment bien.

La journaliste : Dans la Jeunesse, il y a aussi un joli trio avec Aurélien, Cendres et le Garçon à la cicatrice.

Olivier Py : Oui… En fait, non. Si Aurélien et Cendres couchent ensemble dans le premier acte, ils s’arrêtent très vite. On a quelque chose de très fraternel, d’autant que Cendres ne couche pas avec le Garçon à la cicatrice. C’est un beau duo en revanche, c’est vrai. À l’origine, c’était un atelier pour le Conservatoire, et du coup, la pièce est publiée complètement remaniée. Je ne voulais pas qu’elle paraisse telle quelle parce qu’il y avait des scènes que j’avais écrites à la commande, pour que chacun ait un rôle. Il a donc fallu couper beaucoup. Mais ça n’a jamais vraiment été monté. Il faut dire que j’allais peut-être un peu trop loin.

La journaliste : Peut-être, mais il y a de belles pages. J’aime beaucoup cette vieille religieuse qui ramasse des moutons de poussière : « Elle courbe son dos, elle se relève, elle n’a dans sa main que la poussière, cette poussière est son oratoire minuscule » (2).

Olivier Py : Oui, moi aussi je l’aime. Il faudrait peut-être que j’essaie d’écrire un dialogue des Carmes. Silence. Oui, pourquoi pas après tout !

Une porte s’ouvre à la volée. Entre le régisseur.

Le régisseur : Monsieur le directeur, le plateau est prêt !

Olivier Py, à la journaliste : Je vous demande juste un instant, s’il vous plaît.

La journaliste : Mais je vous en prie !

Olivier Py se lève et sort à la suite du régisseur. La journaliste hésite un instant, jette un coup d’œil à la guichetière toujours chantonnante, puis se lève à son tour et les suit discrètement. ¶

Lise Facchin


Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte I

Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte II

Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte III


(1) « Dans un théâtre noir », Miss Knife chante Olivier Py, Actes Sud, C.D.‑Livre, Paris, 2012.

(2) Les Enfants de Saturne d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 2007, scène x, p. 51.

(3) Jeunesse d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 2003, scène v, p. 41.


Le Visage d’Orphée d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, Paris, 1997, 109 pages.

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19 décembre 2013 4 19 /12 /décembre /2013 20:11

La force du conte


Par Lise Facchin

Les Trois Coups.com


Au cimetière du Père-Lachaise. La journaliste est assise sur une tombe, couronnée d’un médaillon de bronze. Olivier Py, en habit de poète, arrive à grandes enjambées.

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Olivier Py | © Carole Bellaïche pour le Festival d’Avignon

Olivier Py : Bonjour.

La journaliste : Bonjour. Vous avez trouvé facilement ?

Olivier Py : À dire vrai, pas vraiment.

La journaliste : Ce pauvre Théophile (1) est assez oublié.

Olivier Py : Il a pourtant une jolie tombe… Alors, de quoi parle-t-on ?

La journaliste : J’ai réalisé tout à l’heure que j’avais connu ma première pièce de vous à l’âge de douze ans, c’était…

Olivier Py : … Je dirais, sans surprise, le Diable, la Jeune Fille et le Moulin ?

La journaliste : Exact !

Olivier Py : Elle est drôle, mon aventure avec le théâtre pour enfants ! Il y a maintenant des générations de jeunes gens qui le connaissent alors que, lorsque je me suis attaqué à Grimm, je ne pensais pas aller bien loin. Au final, c’est peut-être cela qui restera parmi tout ce que j’aurai écrit.

La journaliste : C’est une partie de la force des contes, la résistance à l’érosion…

Olivier Py : Ce fut également l’étonnement de Grimm. Au départ, j’avais envie d’en écrire un par an et puis je n’ai pas pu tenir le rythme. C’est vraiment dommage. Le Diable, la Jeune Fille et le Moulin est une pièce pour petites filles. J’en avais tout à fait conscience quand je l’ai écrite. C’est pour cela que j’ai ensuite publié l’Eau de la vie à destination des garçons. Il y a aussi la dernière parue, la Vraie Fiancée, que j’ai travaillée à L’Odéon. C’est une sorte de manuel de survie au chagrin d’amour, si jamais cela vous arrive, jetez-y un coup d’œil… Je vous assure !

La journaliste : Je l’ai lue. Sans chagrin d’amour, mais je l’ai lue. Ce qui m’a frappée, pour aller dans votre sens, c’est qu’il y a beaucoup d’espoir dans cette pièce. Le Prince reconnaît la Jeune Fille à la fin, la mémoire lui revient…

Olivier Py : Oui, il revient. L’envoûtement de la Marâtre est brisé.

La journaliste : Particulièrement atroce, cette belle-mère, d’ailleurs. Avec cette poupée de cire qu’elle fait passer pour sa fille, en réalité morte des années auparavant…

Olivier Py : Absolument horrible !

La journaliste : Vous conviendrez tout de même que cette pièce est loin d’être aussi dure que le Diable, la Jeune Fille et le Moulin. En comparaison, la Vraie Fiancée est une balade de santé !

La voix de Théophile, récitant : « Sans secours, sans réconfort aucun, sans espoir et sans but. Sur ma tête une rangée de nuages sales. Entre mes pieds, un entrelacs de ronces sèches. Je ne suis jamais venue ici. Personne ne me connaît. Je vais chanter la vieille complainte. Aucun son ne sort de ma bouche. Ma chanson aussi m’a abandonnée. La nuit hésite encore à s’abattre sur moi. Que reste-t-il ? Rien, alors j’écoute. » (2)… C’est fort beau, cette voix d’enfant.

La journaliste, gênée : Théophile, tu avais promis… Je suis désolée, c’est un mort qui a du mal à se taire.

Olivier Py, tout à fait détendu : Ne vous en faites pas, ça va. Merci. Pardon, mais n’êtes-vous pas un critique surtout occupé de peinture ?

La voix de Théophile Thoré : Si, mais je tiens pour une certitude que le romantisme est universel. D’ailleurs, lisez mon épitaphe.

Olivier Py, lisant : « He was a man »… Hamlet ?

La voix de Théophile Thoré : Oui ! Du théâtre, donc, mais j’ai tronqué les vers (3), il faut tout de même raison garder !

Tous deux rient.

La journaliste, décontenancée : Bon euh, si vous le voulez bien, revenons…

Olivier Py, se reprenant : Vous avez raison… Oui. Effectivement le Diable, la Jeune Fille et le Moulin est une pièce très violente. Je m’en suis rendu compte bien plus tard, mais en réalité c’est une pièce sur l’inceste. Une thématique qui m’obsède, comme vous le savez. Des années après l’avoir écrite, je me suis dit que, sans le vouloir, j’avais une fois de plus écrit là-dessus.

La voix de Théophile : Ce père qui coupe les mains de sa fille sur ordre du diable, en effet c’est assez métaphorique.

Olivier Py : C’est intéressant ce que vous dites…

La journaliste, tentant de reprendre le contrôle de la conversation : Je me souviens qu’avoir joué cette pièce a été compliqué, il y manquait pour nous, jeunes comédiens, quelque chose en termes de sens.

La voix de Théophile : … Mais du coup la pièce se ressent d’un non-dit très fort.

La journaliste : … Ou une sorte de flottement, d’incompréhension et une terreur aussi de ce que recouvrait ce flottement…

Olivier Py : En fait, je voulais parler des blessures de l’enfance, de l’enfance maltraitée. C’est un sujet qui me touche beaucoup et dont on parlait assez peu à l’époque, contrairement à aujourd’hui.

La voix de Théophile, toussotant : Vous permettez ?

La journaliste, résignée : Je t’en prie.

La voix de Théophile : L’Ange dit : « Tous les malheurs du monde se sont abattus sur elle, mais elle ne pense qu’à se saouler d’une petite poire. Ce doit être cela avoir faim. » (4). C’est une belle élégance. Bouleverse l’adulte sans évincer l’enfant. Vous êtes un sacré romantique, si je puis me permettre, et d’un lyrisme assez peu de votre époque.

Olivier Py : Je le revendique ! Gentiment. Quant à vous, vous êtes un mort fort peu convenable.

La voix de Théophile : Attention, le garde-chiourme !

Le gardien, furieux : Dites-donc, il ne faut pas vous gêner ! C’est un cimetière ici, pas le café des Sports ! Ouste ! Allez !

La journaliste et Olivier Py se lèvent et sortent sous le regard courroucé du gardien. 

Lise Facchin


Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte I

Voir aussi Entretien exclusif avec Olivier Py, acte II


(1) Théophile Thoré est un important critique d’art du xixe siècle. Il fut parmi les suiveurs de Delacroix et du romantisme, et connut un engagement politique, assez rare parmi ceux de sa profession, pendant les révolutions de 1830 et de 1848.

(2) Le Diable, la Jeune Fille et le Moulin, d’Olivier Py, L’École des loisirs, coll. « Théâtre », Paris, 1995, p. 26.

(3) Hamlet de Shakespeare, acte I, scène ii, « He was a man, take him from all and all, / I shall not look upon his like again. » (Traduit par « C’était un homme, pour tout dire en un mot, tel que je ne reverrai plus son pareil ».)

(4) Le Diable, la Jeune Fille et le Moulin, d’Olivier Py, L’École des loisirs, coll. « Théâtre », Paris, 1995, p. 30.


Le Diable, la Jeune Fille et le Moulin, d’Olivier Py, L’École des loisirs, coll. « Théâtre », Paris, 1995, 62 pages.

L’Eau de la vie, d’Olivier Py, L’École des loisirs, coll. « Théâtre », Paris, 1999

La Vraie Fiancée, d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, coll. « Heyoka Jeunesse », Paris, 2008, 71 pages

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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 14:36

Portrait de groupe


Par Michel Dieuaide

Les Trois Coups.com


Ils ont entre dix-huit et vingt-cinq ans. Deux points communs les réunissent. Leur principale formation de comédiens s’est faite au conservatoire de Lyon, et ils vivent depuis quelques mois leur première expérience professionnelle salariée d’acteurs. Nous nous sommes rencontrés pendant une heure et demie pour un échange libre autour de quelques questions sur la façon dont ils ont ressenti leurs années d’enseignement et leurs premiers pas dans le théâtre d’aujourd’hui.

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Elena Bruckert, Marion Couzinié, Asja Nadjar, Pierre Laloge, Benoît Martin et Maxime Roger | © Michel Dieuaide

En préambule, il est important de dire que ces jeunes comédiens ont commencé leur parcours avec de vrais rôles dans la trilogie Molière mise en scène par Gwenaël Morin * et dans la comédie musicale Bells Are Ringing réalisée par Jean Lacornerie. Une manière sérieuse et exigeante de se mettre au travail.

Tous reconnaissent l’aspect positif de leurs années d’apprentissage. Leurs itinéraires, outre le conservatoire de Lyon, ont été riches d’expériences. Pour certains, leur envie de devenir comédien remonte à l’enfance avec le plaisir d’inventer et de raconter des histoires. Pour d’autres, leur participation désirée ou fortuite à des ateliers-théâtre au collège ou au lycée a été déterminante. Pour d’autres encore, c’est le suivi de plusieurs conservatoires qui leur a permis de cerner leur projet. Tous, enfin, s’accordent sur le fait que leurs contacts avec le théâtre amateur ont été un espace enrichissant de rencontres et de questionnements.

Sur leurs années de classe au conservatoire, tous portent un regard lucide. Ils ont apprécié ce temps d’école beaucoup plus comme une période de culture, de transmission d’expériences que d’enseignement stricto sensu. Pour eux, le théâtre ne s’enseigne pas mais doit amener les étudiants à se découvrir comme acteurs-créateurs. Ils ont éprouvé du plaisir à rechercher cet équilibre difficile et indispensable entre les atouts de leur personnalité et les exigences des personnages à interpréter. En outre, compte à leurs yeux d’avoir pu ajouter à leur formation des temps de confrontation avec des apprentis-comédiens d’autres écoles et des artistes de diverses compagnies.

Une hiérarchisation excessive

Toutefois, ils regrettent de sentir une hiérarchisation excessive de la valeur attribuée aux différentes écoles de comédiens. À une remarque faite sur le risque d’être réservé à un emploi proche de ce qu’ils paraissent, tous souhaitent travailler avec des metteurs en scène dont l’une des qualités doit être de faire confiance à l’acteur pour qu’il s’étonne lui-même. À une question sur leur envie éventuelle d’aller compléter leur formation à l’étranger, ils évoquent sereinement un intérêt de principe, mais ils sont réservés sur le fait de se couper de leur réseau, de s’éloigner de Lyon qu’ils considèrent encore comme une place forte du théâtre et sur le coût d’un tel voyage. En clair, candidats à une sorte de programme Erasmus du théâtre, pourquoi pas mais pas tout de suite.

S’ils ont donc pour l’instant choisi de rester à Lyon et dans sa région, c’est qu’ils portent déjà un regard affûté sur la réalité des moyens de production encore disponibles qui conditionnent leur embauche. Conscients d’aborder un métier qui traverse une période d’extrême précarité, ils manifestent une commune volonté de marcher sur leurs deux pieds : d’un côté, continuer de travailler sur des scènes repérées, telles celles qu’ils viennent de fouler ; de l’autre, tenter d’atténuer les difficultés du régime de l’intermittence en se structurant et en s’organisant collectivement. Une belle formule a jailli durant notre entretien : « Il faut être capable d’affronter les égarements de la solitude. ».

À un autre moment, ils nous ont confié la liste non exhaustive des auteurs de théâtre qu’ils préfèrent, mariant les goûts les plus classiques aux écritures très contemporaines. Leurs élus : Shakespeare, Molière, Racine, Goldoni, Kleist, Tchekhov, et Cocteau, Vian, Calaferte, Beckett, Copi, Pinter, Aubert, Garcia, Celestini, Pommerat et… Woody Allen. Pour autant, à la question : « Lisez-vous du théâtre ? », leur réponse est : « Peu, sauf s’il s’agit de préparer un projet et toujours à haute voix, seul ou en groupe ». Mais ils lisent aussi des romans, des polars et des bandes dessinées avec toujours à l’esprit d’en faire du théâtre, au moins des lectures publiques.

L’acteur garde la place centrale

À une toute dernière question sur leur sentiment concernant la présence de plus en plus prégnante des nouvelles technologies dans les spectacles de théâtre, tous ont exprimé un point de vue mesuré. Point de fascination, mais l’envie de vivre des expérimentations comme gage éventuel d’une poésie différente, d’une magie inattendue, d’un rapport au corps renouvelé. Reste qu’ils revendiquent ardemment que sur le plateau l’acteur garde la place centrale pour éviter que ne se développe un théâtre « pauvre » asservi aux avancées technologiques. Dans l’ensemble, ils craignent plus ces avancées exponentielles dans la vie qu’au théâtre.

De ces jeunes comédiennes et comédiens, filles et fils d’artisans, de commerçants, de soignants, d’artistes, d’enseignants et d’éducateurs, il faut retenir les noms : Elena Bruckert, Marion Couzinié, Asja Nadjar, Pierre Laloge, Benoît Martin et Maxime Roger. Il faut également guetter les premiers pas de leur projet commun, intitulé Collectif Bis, et naturellement ne pas oublier d’aller les voir jouer. Certes, ils ne nous ont pas dévoilé leurs secrets, mais leur maturité et leur engagement ont quelque chose de réconfortant dans un monde théâtral où le narcissisme et les discours emphatiques occupent parfois trop de place. 

Michel Dieuaide


* Voir Dom Juan, le Misanthrope et Tartuffe.

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